Après avoir postulé à 800 offres d’emploi avec deux candidats fictifs à des CV identiques, des chercheurs français amènent la preuve que la discrimination à l’embauche n’est pas une fiction. Ils prouvent que celui dont le compte Facebook indique une origine étrangère a reçu jusqu’à deux fois moins de réponses que l’autre.
Jusqu’à maintenant, seules existaient des études déclaratives, écrit Alexia Eychenne dans L’Express. Or les entreprises peuvent tout de même être tentées de minimiser une pratique controversée. Les chercheurs de Paris-Sud ont donc mis en place une expérience : entre mars 2012 et mars 2013, ils ont répondu à 837 offres publiées par Pôle emploi, avec deux CV de candidats fictifs. Rien ne distinguait ces deux jeunes comptables fantômes: mêmes diplômes et expériences, sexe, adresse et âge, des prénoms et noms “à consonance française”… Autrement dit, rien qui puisse a priori désavantager l’un ou l’autre.
Surprise sur Facebook : leurs profils paramétrés comme “publics” variaient. Le premier candidat indiquait être né à Brive-la-Gaillarde et parler italien; le second affichait Marrakech comme ville de naissance et maîtrisait l’arabe marocain.
Que c’est-il passé ?
Entre mars et octobre 2012, le candidat dont le profil pouvait laisser supposer une origine étrangère enregistre un taux de réponses positives de 13,4%, contre 21,3% pour son homologue corrézien.
Le test se poursuit d’octobre à décembre avec deux CV moins expérimentés. “L’ancienneté pouvait compenser la discrimination”, explique Nicolas Soulié, co-auteur de l’étude*. L’écart se creuse alors: seulement 7,1% de réponses favorables pour le comptable de Marrakech, contre 16% pour celui de Brive.
En décembre 2012, Facebook change la présentation des profils de ses membres. Seule la ville d’origine apparaissait alors au premier coup d’oeil. Les langues parlées – un fort motif de discrimination à l’embauche, selon plusieurs études – n’étaient accessibles que dans un sous-onglet. En quelques mois, l’écart entre les deux candidats s’est réduit, jusqu’à devenir insignifiant.
“Cela suggère que le filtrage opéré par les recruteurs est superficiel”, concluent les chercheurs. Les entreprises se contentent de regarder la page d’accueil du profil sans poursuivre plus loin l’exploration.
Lire l’article “Oui, les recruteurs examinent bien votre profil” dans L’Express.fr
* Do recruiters “like” it? Online social networks and privacy in hiring: a pseudo-randomized experiment, Matthieu Manant, Serge Pajak et Nicolas Soulié, RITM, Université Paris-Sud, octobre 2014