Les recruteurs ont toujours du mal à mesurer la réelle performance des réseaux sociaux en matière de recrutement. Sous-estimée, surement, sous exploités, évidemment, mal utilisés, certainement. Maintenant en essayant de chercher un peu plus loin, deux choses apparaissent. Tout d’abord l’utilisation également imparfaite de ces outils par les candidats qui peinent à leur donner une vraie valeur ajoutée, ce quivau delà de l’outil pose surtout des questions en termes de formation. Ensuite la difficulté légitime pour un recruteur de rentrer dans une logique d’engagement plutôt que ciblage de masse puis sélection. Ce qui amène à poser une question : et si, dans un monde désormais désintermédiarisé, ça n’était pas le rôle du manager, le recruteur gardant la responsabilité d’un test de conformité final ?
Courant juin j’ai été invité par l’APEC à échanger sur les pratiques digitales dans le recrutement avec quelques experts maison et praticiens internes, à l’occasion de la sortie d’une étude qu’ils venaient de réaliser sur la question.
Quelques faits forts intéressants sont à noter. Même si la diffusion d’une annonce reste la manière préférée pour les recruteurs de collecter des candidatures, l’utilisation des réseaux sociaux a presque doublée en un an. Une bonne nouvelle qui se double d’une grosse interrogation : le taux de recrutement via les réseaux continue à stagner au même (faible) niveau ce qui amènerait à penser que le rendement de ce média est en chute libre. Mais une autre lecture, partagée par l’ensemble des personnes présentes, était également possible : on peut recevoir une candidature à une annonce, “scorer” la personne par le réseau, et peut être même que celle-ci a utilisé son propre réseau pour décider de candidater ou pas. Au final l’importance du facteur “social” est dilué et parfois peu visible ce qui ne veut pas dire qu’il joue beaucoup.
Autre point intéressant : le réseau est souvent utilisé comme CVthèque et non comme un outil d’engagement, de marque employeur. Ce mésusage du à connaissance surement encore très imparfaite des outils et usages n’est surement pas étrangère aux résultats globalement constaté et ressentis.
Ce qui m’a inspiré certaines réflexions.
Quant à l’utilisation de ces outils par les recruteurs, il semble assez évident qu’ils continuent à s’en servir comme d’un canal de plus pour faire comme avant au lieu d’un canal spécifique pour un certain type de relation. On cherche des CV au lieu de rentrer dans une logique d’engagement. Or les profils sur des réseaux sociaux professionnels tels que Linkedin ou Viadeo sont des contenus “froids”. Raison pour laquelle ces plateformes ont peu à peu donné la possibilité de publier des contenus et informations “à la Facebook” autour du profil. Et là une question se pose à laquelle je n’ai pas de réponse vais une solide intuition : si ceux qui sont “vivants” hors de ces plateformes par le biais d’un blog ou de twitter y dupliquent leurs contenus, est-ce que les utilisateurs qui ne le sont pas vont avoir l’envie, le temps voire la capacité à animer leur profil Linkedin ? Je ne pense pas. Et pour quel rendu qualitatif ? A démontrer.
Cela me rappelle les années 2005-2006 lorsqu’on a vraiment commencé à s’intéresser à ces plateformes. Quelqu’un m’avait dit “c’est utile pour garder le contact avec son réseau mais en termes de visibilité personnelle c’est pour ceux qui n’ont pas de quoi tenir un blog”. Ce qui porte donc le débat sur la capacité du candidat à partager une passion ou, sans aller jusque là, “raconter une histoire” lui permettant, ainsi que le recruteur, de se projeter dans son avenir professionnel. Ce qui nous ramène aux blogs emplois de cette époque et là différence entre ceux qui avaient cette capacité et ceux qui mettaient leur CV dans leur premier billet, disaient qu’ils cherchaient un job dans le second, avouaient leur détresse dans le troisième…et n’écrivaient jamais le quatrième. Limite des médias sociaux ? En aucun cas. Limite des techniques de recherche d’emploi et de valorisation de la marque personnelle enseignées à l’école ou dans les ateliers de recherche d’emploi ? Certainement.
Avec Facebook, Linkedin, Viadeo, Twitter et d’autres le blog, sans perdre de sa superbe, est devenu l’outil de ceux qui ont plus de choses à dire que 140 caractères. N’étant plus “le dernier truc à la mode”, on l’oublie souvent dans sa stratégie de visibilité professionnelle ou on l’utilise mal. Et voilà le résultat. D’un autre coté si je vois poindre beaucoup moins de “blogs emploi” qu’avant, je vois quelques excellents blogs liant une passion et un éclairage professionnel ce qui prouve qu’il y a de l’espoir et que même un étudiant ou un jeune diplômé peut avoir des choses à raconter contrairement à ce que eux même croient souvent. Ils ont un autre point commun : l’objectif premier n’est pas de trouver un emploi mais d’échanger sur une passion avec un regard professionnel. L’emploi suit souvent. Ces blogs ont un autre intérêt : ils durent dans le temps indépendamment de la situation professionnelle de l’auteur alors que, vu le temps nécessaire pour gagner audience, crédibilité et construire son réseau, se lancer dans une telle démarche uniquement pour trouver un job à court terme n’a pas le temps de payer.
Dans la série bonnes pratiques, prouvant qu’on peut vraiment construire une stratégie pertinente et payante, je vous invite à lire cette interview de Sophie Figenwald,cette étudiante nous prouvant qu’à condition d’être intéressé par quelque chose et comprendre la vraie nature de ces outils et comment les utiliser, on arrive rapidement à des résultats plus que concrets. Ce qui confirme ce que vous diront les “vieux” qui en leur temps ont été les premiers à trouver un job avec leur blog : la passion vient d’abord, le relationnel se passe sur les blogs et sur twitter, Linkedin et Viadeo servent ensuite à cristalliser tout cela.
Mais revenons aux recruteurs. Comment un recruteur peut il rentrer dans une logique d’engagement avec un écosystème professionnel pour en arriver à cette idée que j’avais entendu chez Danone et que je trouve très pertinente : “faire du recrutement davantage un rapprochement qu’une sélection”. Soyons clair : il ne le peut pas. Il ne peut être partout, être pertinent par rapport à des communautés qui représentent un grand nombre de métiers. On en reste donc au vœu pieux ? Non, il s’agirait davantage du rôle du manager. Vu l’évolution rapide des métiers, des compétences, le recruteur est souvent bien en peine d’avoir le descriptif bien formalisé qui correspond au besoin du moment du manager. Si on rajoute la dimension “intuitu personae” qui fait qu’au final c’est le manager qui va sentir s’il a envie de travailler avec untel ou untel, c’est peut être son rôle de s’immerger dans un écosystème de pair qui lui servira à la fois à “rester à niveau” sur un sujet précis et accéder à un vivier de candidats dormants en termes de recherche mais vivants sur les réseaux ou actifs. D’ailleurs l’interview de Sophie le montre bien : la valeur de sa démarche est justement la relation avec les opérationnels, pas avec le recrutement.
Mais cela va lui faire perdre un temps fou à notre manager non ? Pas nécessairement, mais il s’agit avant tout d’un parti pris. Vu le temps perdu à sélectionner les candidats pas nécessairement pertinents qu’on lui propose, vu le risque de devoir recommencer un recrutement car ça n’était pas la “bonne” personne, vu qu’au final c’est lui qui est garant de la cohésion de son équipe et de la capacité de tous à bien travailler ensemble, n’est-ce pas davantage un investissement et du temps gagné ?
Au final, dans un monde désintermédiarisé (car quand on parle 2.0 ou social c’est bien un des principes que l’on sous-entend), n’est-ce pas au manager de s’occuper de s’immerger dans les réseaux et écosystèmes de pairs afin de proposer une short list de candidats et au recruteur de la DRH de s’occuper uniquement d’un “test de conformité” final ? (En tout cas en dehors des besoins de recrutement en masse bien sûr).