Par Nathalie Brafman
Ils sont l’objet d’études, de colloques, des livres entiers leur sont consacrés. La blogosphère déborde de commentaires sur eux, ils font la « une » des magazines, sont invités à la télévision. La génération Y, c’est ce label donné aux 20-30 ans grandis avec les nouvelles technologies.
Y parce qu’elle succède à la génération X des enfants de baby-boomers, Y en référence aux fils des écouteurs sur le torse, Y à prononcer à l’anglaise (« ouaille »), parce qu’elle serait la génération qui s’interroge tout le temps. Ils sont environ 13 millions, soit plus de 20 % de la population, nés entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990. Et sont désormais présentés comme un vrai phénomène de société.
Génération Y, concept marketing ou réalité sociologique ? Peut-on réellementcataloguer une génération dans son ensemble, en mettant dans la même case un jeune fraîchement diplômé d’une grande école et un autre à faible qualification ? La validité du concept, propagé par des cabinets de consultants qui estiment qu’il existerait un comportement typique de cette génération au travail, est discutée.
GÉNÉRATION ULTRA-CONNECTÉE
Certes, ils sont ultra-connectés, manient les outils technologiques et surfent sur les réseaux sociaux avec une aisance déconcertante. C’est la première génération qui dispose de compétences que ne détiennent pas les précédentes, y compris leurs supérieurs hiérarchiques dans les entreprises.
Une autre caractéristique les rassemble, moins positive cette fois, la précarité au travail : 25 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. Ils enchaînent CDD et stages – le mouvement Génération précaire estime le nombre de stagiaires entre 1,2 et 1,5 million. Ils étaient 600 000 en 2006. L’âge moyen du premier CDI se situe autour de 30 ans.
Conséquence : on les présente comme sans illusions, peu impliqués au travail, difficilement fidélisables, individualistes, réfractaires à l’autorité. Ils manqueraient de loyauté vis-à-vis de leurs employeurs, n’auraient aucun attachement à leur entreprise.
Autre poncif, ils respecteraient peu la hiérarchie : seule compterait la compétence réelle de leurs aînés. Alexandra de Felice, consultante chez Moore Stephens, estime qu’un jeune Y changera d’employeur 29 fois au cours de sa carrière !
« La réalité est plus triviale, le marché du travail est tellement tendu que je ne connais personne, même sortant des plus grandes écoles de commerce, qui pourrait se payer le luxe de dire à son employeur, « vous m’emmerdez, je m’en vais » », tempère Jean Pralong, professeur en gestion des ressources humaines à la Rouen Business School.
A la suite du départ d’un jeune contrôleur de gestion qu’il avait recruté moins d’un an auparavant, Laurent Giraud, lui-même en CDD à l’époque, a voulu comprendrecette décision. Etait-ce à cause de son âge ? Etait-ce parce qu’il appartient soit disant à la Génération Y ? Aujourd’hui, Laurent Giraud, 28 ans, diplômé de deux masters en gestion, est formel. « L’appartenance générationnelle n’influence pas le niveau de fidélité du salarié de l’entreprise, qu’on soit de la génération Y, X ou baby boomers. Aucune revue scientifique digne de ce nom n’a publié d’article établissant ce lien. » C’est l’objet de sa thèse qu’il soutiendra dans quelques semaines.
IMPOSSIBLE DE DISTINGUER L’EFFET D’ÂGE DE L’EFFET PÉRIODE ÉCONOMIQUE
En 1985 déjà, Denis Kessler, à l’époque économiste et André Masson avaient montré dans leur livre Cycle de vie et générations (éd. Presses de l’université du Québec) qu’il est très difficile voire impossible de distinguer l’effet d’âge de l’effet période économique sur les attitudes au travail.
Après avoir réalisé une étude sur l’image du travail selon la génération Y, Jean Pralong, en est arrivé à une conclusion définitive : la génération Y n’existe pas.« C’est un concept marketing fabriqué par les consultants, explique le professeur en gestion des ressources humaines. Si on interroge les différentes générations sur leurs attentes au travail, la manière dont ils envisagent leur carrière, le rôle de l’entreprise ou encore la façon de se comporter au travail, on ne voit pas apparaître de différences. »
Non sans humour, dans leur livre La génération Y par elle-même (éd. François Bourin Editeur), Myriam Levain et Julia Tissier, journalistes, règlent leurs comptes avec ces clichés. « Oui nous passons d’une expérience à une autre. Oui, nous multiplions les activités. Oui, nous avons du mal à rester en place dans une entreprise plus de deux ans. Mais pour quelle raison ? Tout simplement parce que nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Le marché de l’emploi s’est toujours apparenté à une forteresse imprenable », écrivent-elles.
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Le contexte de la difficulté d’accès au travail des jeunes leur donne en partie raison. Gilles Babinet, multi-entrepreneur de 45 ans, prend leur défense : « Cette génération s’est fait déposséder de toute capacité d’autonomie. Les baby boomers ont fait un hold-up moral, intellectuel et économique. Le modèle de société qu’on a imposé aux Y, par sa structure même, n’est pas très séduisant et si j’avais leur âge, je ne me comporterais pas vraiment différemment ».
Mais cette précarité aurait aussi du bon. Elle pousserait la génération Y à seprendre en charge en créant ses propres entreprises. « Il y a quinze ans, à HEC par exemple aucun élève ne sautait le pas, aujourd’hui ils sont entre 6 % ou 7 % à le faire dans les deux ans qui suivent. C’est une évolution notoire », affirme Gilles Babinet.