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Les entreprises répugnent à embaucher des Marilyn Monroe

Par Jean-Pierre Robin

À l'instar de Marilyn Monroe, les femmes trop séduisantes peuvent inspirer défiance et jalousie, d'où la discrimination qu'elles peuvent subir dans l'entreprise.

À l'instar de Marilyn Monroe, les femmes trop séduisantes peuvent inspirer défiance et jalousie, d'où la discrimination qu'elles peuvent subir dans l'entreprise. Crédits photo : Screen Prod/Photononstop

La beauté est un facteur de réussite reconnu dans la vie professionnelle. Mais, paradoxalement, c’est aussi un obstacle pour trouver un emploi.

La cause des jolies femmes n’intéresse guère nos dix candidats à la présidence de la République. Bien à tort. Cette catégorie de la population suscite certes l’admiration plus que la compassion, mais elle n’en éprouve pas moins elle aussi une forme de «souffrance sociale» qui mériterait leur sollicitude. Les femmes au-dessus du lot, de par leur physique, sont en effet l’objet d’une étrange discrimination. Elles rencontrent plus de difficultés que les autres pour se faire embaucher par les entreprises.

Ce résultat surprenant, nous le devons à deux universitaires israéliens, Bradley Ruffle et Ze’ev Shtudiner. Pour en administrer la preuve, ils ont répondu à quelque 2656 offres d’emploi, en Israël, envoyant chaque fois deux curriculum vitae, très légèrement différents l’un de l’autre dans la présentation des candidats, mais fondamentalement semblables. La seule vraie différenciation portait sur l’envoi ou non d’une photo. Les dossiers qui en étaient dépourvus ont reçu 22% de plus de réponses que ceux qui comportaient la photo d’une femme au physique «ordinaire», et même 30% de plus que les dossiers des femmes «séduisantes». Or pour les hommes c’était exactement l’inverse: les beaux mâles ont obtenu un meilleur accueil que les postulants moins bien dotés par la nature ou sans visage.

Une concurrence déloyale et trompeuse

Par souci d’objectivité, les deux économistes israéliens, qui ont présenté leur étude à la Royal Economic Society (Royaume-Uni), avaient auparavant demandé à un jury de huit personnes de classer les photos selon une grille esthétique.

Ils ont découvert qu’il n’y a aucun rejet des «prix de beauté féminin» lorsque les recrutements s’effectuent à travers des agences indépendantes. Seules les directions du personnel internes aux entreprises semblent éprouver une hostilité vis-à-vis des candidates canon. Après une véritable enquête policière, par téléphone entre autres, il s’est avéré que les services de recrutement d’entreprise étaient gérés pour 93 % par des femmes, dont la plupart n’ont même pas 30 ans. D’où leur conclusion: c’est «la jalousie» (sic)et elle seule qui est à l’origine de cette discrimination; l’arrivée de femmes séduisantes dans l’entreprise pourrait porter ombrage au personnel en place. «De tout temps la beauté a été considérée par certains comme une secrète insulte», écrivait Claude Debussy, dont nous célébrons cette année le 150e anniversaire de la naissance…

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les apparences flatteuses provoquent la suspicion. «Il y a peu de femmes dont le mérite dure plus que la beauté», expliquait il y a trois siècles et demi La Rochefoucauld. D’une certaine façon, les jeunes recruteuses envieuses d’Israël auraient donc raison de se méfier: un physique avantageux constitue une concurrence déloyale et trompeuse.

Les gens beaux gagnent 20 dollars de plus par heure que les autres

Il n’en est pourtant pas moins établi que les gens beaux sont mieux rémunérés dans la vie professionnelle. Sur l’ensemble de leur carrière, ils vont gagner 230.000 dollars de plus que les autres, soit 20 dollars en moyenne pour chaque heure de travail, selon Daniel Hamermesh. Ce professeur d’économie à l’université du Texas estime que «la prime de beauté» est de 9% pour les hommes et de 14% pour les femmes. Cette estimation résulte d’enquêtes de terrain, auprès des diplômés de grandes universités américaines, dont il a examiné les photos et les salaires cinq et quinze ans après la sortie d’études. Daniel Hamermesh est l’inventeur du terme de «pulchronomics» (du latinpulcher, beau).

Tout un filon de recherches s’est développé aux États-Unis depuis le milieu des années 1990, sur le thème what is beautiful is good («ce qui est beau est bon»). Les deux économistes israéliens le rappellent dans leur étude sur la pénalisation à l’embauche des jolies femmes. Leur propre découverte est d’autant plus intéressante qu’elle va à l’encontre de l’opinion dominante: «À la fois pour les hommes et les femmes, la séduction physique est associée à de nombreux traits de caractère positifs, de sociabilité, de santé mentale et d’intelligence», reconnaissent Bradley Ruffle et Ze’ev Shtudiner. Les entreprises auraient donc tout intérêt à recruter des beautiful people. Au-delà du phénomène de jalousie qu’ils peuvent exercer auprès de leurs collègues, leur confiance en soi est un gage de leadership et de productivité.

«Il n’y a pas de femme laide, il n’y a que des femmes paresseuses»

Pour les économistes, la beauté est un capital comme un autre qu’il convient d’exploiter au mieux, de protéger et de cultiver. Ce faisant, ils n’ont rien inventé. Coco Chanel s’exclamait, dans l’entre-deux-guerres: «La beauté, quelle arme!» De même Helena Rubinstein, sa contemporaine qui a également fait fortune dans la même industrie, prétendait qu’«il n’y a pas de femme laide, il n’y a que des femmes paresseuses».

Ces mots d’ordre roboratifs et conquérants n’ont pas pris une ride. Seul le langage est devenu plus cru, comme l’indique le best-seller 2011 de la sociologue britannique Catherine Hakim: Erotic Capital: The Power of Attraction in the Boardroom and the Bedroom («Capital érotique. Le pouvoir d’attraction dans le conseil d’administration et dans la chambre à coucher»). Les Français le savent mieux que quiconque: «La beauté n’est que la promesse du bonheur», selon Stendhal, grand expert en la matière. Promesse ne signifie pas réalisation. Le destin de Marilyn en témoigne.

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