Par Gérard Haas, Avocat (leplus.nouvelobs.com)
LE PLUS. « A toute la direction, vous êtes toutes de belles baltringues anti-professionnelles » avait cru bon de partager un salarié avec ses amis Facebook. Si la justice a été avec lui dans ce cas, évitez pour autant de vous en prendre à vos supérieurs sur le réseau social, conseille Gérard Haas, avocat.
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. »
Article 10 de la convention européenne des droits de l’homme.
De nombreux sites de presse relaient l’information, sortie par « Challenges » : la cour d’appel de Douai aurait rendu un arrêt protégeant la liberté d’expression des salariés sur Facebook : des propos injurieux ou diffamatoires tenus sur ce réseau social, dans le cadre d’un profil privé, ne peuvent donner lieu au licenciement d’un salarié ou à l’annulation d’une promesse d’embauche.
Si nous n’avons pas pu nous procurer l’arrêt de la cour d’appel pour en analyser la portée exacte, il semble que les conclusions à tirer de cette décision doivent être pondérées et que les salariés ne souhaitant pas se voir licencier pour cause réelle et sérieuse doivent très certainement éviter de tenir des propos injurieux ou diffamatoires à l’encontre de leur employeur sur Facebook ; tout au moins tant qu’une jurisprudence plus significative n’a pas été rendue par les juridictions françaises et par la Cour de cassation.
Zoom sur la portée limitée de l’arrêt de la cour d’appel de Douai
Dans cette affaire, un animateur radio, embauché en CDD avec une promesse d’embauche d’un an aurait publié sur le mur Facebook d’un collègue des propos injurieux visant sa direction. Un ami commun des deux salariés a procède à une capture écran dudit « mur » et a alerté l’employeur qui décide en conséquence de rétracter sa promesse d’embauche. Le tribunal des prud’hommes de Tourcoing, saisi du litige, a donné raison à l’employeur en considérant que la rupture de la promesse d’embauche est justifiée par le caractère diffamatoire et menaçant des propos tenus par l’animateur.
La cour d’appel de Douai vient d’infirmer ce jugement en retenant que « des propos diffamatoires ou injurieux, tenus par un salarié à l’encontre de l’employeur ne constituent pas un événement irréversible ou insurmontable faisant obstacle à la poursuite du contrat, cette rupture ne procède pas non plus d’un cas de force majeur « .
Au vu de cet extrait de la décision rendue par la cour d’appel de Douai, il convient de relativiser la portée de cet arrêt qui ne semble pas s’être prononcé sur le caractère privé ou public des propos incriminés. La rupture du contrat est jugée abusive par la cour d’appel au seul motif que l’employeur n’apporte pas la preuve de ce que les propos litigieux pourraient caractériser un cas de force majeur ou bien encore une faute grave ; seuls événements susceptibles de justifier en l’espèce la rupture de la relation contractuelle avec l’employé.
Dès lors, la question de droit essentielle au cœur de nombreux procès n’est pas tranchée : à partir de quand des propos tenus sur Facebook peuvent-ils être considérés comme privés ?
Des précédents défavorables aux salariés
Jusqu’à présent, il semble que les affaires médiatisées en la matière aient donné lieu à des décisions par lesquelles les tribunaux ont considéré que les propos tenus sur des « murs » de profils Facebook étaient des propos publics ne bénéficiant pas du secret de la correspondance privée.
Ainsi en 2010, le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt avait confirmé le licenciement de trois salariés qui avaient tenu des propos dénigrant leur entreprise sur un mur dont l’accès était pourtant limité à leurs seuls amis. De même, le Parquet de Perigueux avait-il classé sans suite la plainte pour interception illicite de correspondance privée déposée par trois salariées licenciées pour les mêmes motifs.
La cour d’appel de Besançon retient la cause réelle et sérieuse de licenciement dans une affaire analogue
Plus récemment, dans un arrêt du 15 novembre 2011, la cour d’appel de Besançon a confirmé cette tendance jurisprudentielle en confirmant le licenciement d’une salariée ayant tenu des propos excessifs visant son employeur (« cette boîte me dégoûte […] ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde ! ») sur le mur d’un collègue qui venait lui aussi d’être licencié. Ces propos caractérisaient selon la Cour d’appel la cause réelle et sérieuse du licenciement de cette salariée.
Là encore, selon la salariée, « la conversation tenue avec son ex-collègue n’était accessible qu’aux contacts de ce dernier et sa diffusion s’en trouvait donc restreinte ». Le raisonnement de la cour d’appel de Besançon, certes ambigu, laisse néanmoins la porte ouverte à une distinction entre les propos qui seraient tenus sur un « mur public » (sans restriction d’accès) et les propos tenus sur le mur d’une personne utilisant un profil privé et restreignant l’accès à son mur à ses « seuls amis » : le réseau Facebook a pour objectif affiché de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s’accroître de façon exponentielle par application du principe « les contacts de mes contacts deviennent mes contacts » et ce, afin de leur permettre de partager toutes sortes d’informations.
Ces échanges s’effectuent librement via « le mur » de chacun des membres auquel tout un chacun peut accéder si son titulaire n’a pas apporté de restrictions. Il s’en suit que ce réseau doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public. Il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook, soit d’adopter les fonctionnalités idoines offertes par ce site, soit de s’assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu’il a limité l’accès à son « mur ».
En l’espèce, il semble que la salariée n’ait pas suivi les précautions préconisées par la cour d’appel ; cette dernière estimant que le dialogue litigieux ne pouvait constituer ‘une conversation privée’. La cour, après avoir rappelé que « le salarié jouit, dans l’entreprise ou en dehors d’elle, de sa liberté d’expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché » confirme donc le motif réel et sérieux du licenciement de la salariée dont l’excès et la violence des propos témoignent d’un abus incontestable de sa liberté d’expression.
La prudence est de mise : la jurisprudence ne considère pas (encore) les murs Facebook comme des lieux privés
On le voit, la jurisprudence est loin d’être fixée et les deux arrêts rendus à quelques jours d’intervalle par la cour d’appel de Douai et par la cour d’appel de Besançon ne font que rappeler aux salariés que les propos excessifs qu’ils tiennent sur leurs murs ou sur les murs d’amis sur Facebook sont susceptibles de caractériser un motif réel et sérieux de licenciement.
Si nous faisons partie de ceux qui pensent que de tels « murs protégés » devront relever de la sphère privée, dès lors que les amis des amis ne pourront accéder audits murs, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée de manière claire sur le caractère privé ou public des murs de pages Facebook dont l’accès est restreint aux seuls « amis » du profil concerné.
En conséquence, tant que la chambre sociale de la Cour de cassation n’aura pas tranché cette question de droit primordiale, les salariés doivent rester prudents et partir du principe que les murs de pages Facebook ne seront pas considérés comme des lieux privés, protégés par le secret de la correspondance privée, sauf exception. Les contentieux en la matière n’ont pas fini de donner lieu à de vifs débats et chacune des parties aura véritablement intérêt à organiser sérieusement sa défense, notamment sur le terrain de la preuve, afin de ne pas perdre son procès.
Texte écrit avec Laurent Goutorbe