Par Christelle Dardant
La fin de l’année 2011 a remis au premier plan la question de la validité des licenciements, fondés sur des preuves issues des propos tenus sur des réseaux sociaux, plus particulièrement Facebook. En effet, les Cours d’appel de Besançon et de Douai ont rendu, respectivement les 15 novembre et 16 décembre 2011, des arrêts qui ouvrent la porte à une modification substantielle de la jurisprudence « licenciements Facebook ».
La genèse de la jurisprudence « licenciements Facebook » : une jurisprudence défavorable aux salariés
La première décision relative à un licenciement prononcé suite à des propos tenus sur Facebook remonte à 2010. Fin 2008, des employés avaient publié sur leur « mur » des conversations dénigrant leur entreprise. Ils ont, par la suite, été licenciés pour faute grave. Le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt a relevé le caractère public du « mur » Facebook, en ce qu’il était paramétré comme accessible « aux amis des amis » et a validé le renvoi.
De plus, sur le plan pénal, début 2011, le Parquet de Périgueux a décidé de classer sans suite la plainte pour interception illicite de correspondance privée déposée par trois salariées licenciées pour faute lourde suite à des propos injurieux, diffamatoires et menaçants émis sur Facebook. La décision du Ministère public implique donc que le réseau social Facebook est un espace public et que les propos écrits ne sont pas protégés par le secret des correspondances privées.
Vers un revirement de jurisprudence ?
Le 15 novembre 2011, la Cour d’Appel de Besançon a confirmé la tendance jurisprudentielle des « licenciements Facebook ». En l’espèce, une salariée avait tenu des propos excessifs visant son employeur en écrivant « cette boîte me dégoûte (…) ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde ! » sur le mur d’un collègue. La Cour a refusé de reconnaître le caractère privé de la conversation émise sur Facebook. En effet, elle rappelle les spécificités du réseau social qui permet aux utilisateurs de choisir le degré de confidentialité des propos qu’ils tiennent sur « le mur ». Elle opère donc une distinction entre un « mur » sur lequel il est possible de partager des informations sans restrictions, qui « doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public » et un « mur » dont l’accès est limité aux seuls contacts, qui dans ce cas sera considéré comme un espace privé. Cet arrêt constitue donc un premier pas vers un possible revirement jurisprudentiel.
Quelques jours après, la Cour d’appel de Douai a rendu un arrêt qui laisse pressentir le futur revirement de jurisprudence. En l’espèce, un animateur radio s’est vu retirer la promesse d’embauche délivrée par son employeur, après avoir qualifié sur son « mur » de sa page Facebook privée, sa direction de « belles balletringues anti-professionnelles » suite à la non reconduction d’un autre salarié. Le conseil des Prud’hommes de Tourcoing a validé la rétractation. Le 16 décembre 2011, la Cour d’appel a infirmé le jugement et retient que « (…) des propos diffamatoires ou injurieux, tenus par un salarié à l’encontre de l’employeur ne constituent pas un événement irrésistible ou insurmontable faisant obstacle à la poursuite du contrat, cette rupture [de la promesse d’embauche] ne procède pas non plus d’un cas de force majeure ». Le licenciement était donc abusif.
A la suite de l’arrêt de la Cour d’appel de Douai, les salariés condamnés en 2010 par le conseil des Prud’hommes de Boulogne Billancourt ont fait appel, espérant pouvoir tirer profit de la nouvelle tendance et voir la décision infirmée. La Cour d’appel de Versailles devrait se prononcer le 22 février 2012 sur la question de la validité de leur licenciement et ainsi sur le statut juridique des propos tenus sur le « mur » Facebook.
L’incertitude du statut juridique des propos tenus sur le réseau social Facebook
Une nouvelle bataille vient de débuter au sein des juridictions du fond sur le point de savoir quel statut juridique devait-on retenir pour les propos tenus sur Facebook.
Selon Me Christiane Féral-Schuhl, avocate spécialisée en droit des technologies et bâtonnier du Barreau de Paris, « les réseaux sociaux ne sont pas des espaces privés », en ce que « l’internaute utilisateur de Facebook ne peut pas réellement mesurer l’audience de ce qu’il publie » Cette position est aussi celle retenue par le Procureur de la République qui a déclaré devant la Cour d’appel de Versailles « que Facebook était un espace public et que la liberté d’expression y était donc restreinte ». En outre, la condamnation pour « injure publique » par le tribunal correctionnel de Paris le 17 janvier 2012 d’un salarié pour des propos injurieux tenus sur Facebook, vient au soutien de la position dominante.
A l’inverse les avocats des ex-salariés retiennent que les propos tenus sur le « mur » relèvent « de la vie privée » dans la mesure où ils ont été publiés via « leur ordinateur personnel ».
Il apparaît donc nécessaire que la Chambre sociale de la Cour de cassation intervienne afin de clarifier le statut juridique des « murs » Facebook, à savoir déterminer si les propos tenus ont un caractère public ou privé.