Photo extraite du documentaire « La gueule de l’emploi », diffusé sur France 2, le 6 octobre. Un film sur « la comédie de la cruauté du travail », selon le réalisateur Didier Cros (c. Zadig Productions)
France 2 a diffusé jeudi soir 6 octobre à 23 h 30, dans l’émission « Infrarouge », un documentaire sur les méthodes employées par l’assureur GAN pour recruter sa « force de vente » intitulé « La Gueule de l’emploi ».
Le réalisateur, Didier Cros a filmé, sans commentaires, une session collective de recrutement de deux journées, pendant laquelle dix candidats passent différentes épreuves : jeux de rôles, tests et enfin, pour les trois candidats sélectionnés, entretiens individuels, aboutissant à deux embauches.
Quinze jours après, le réalisateur a recueilli les commentaires des candidats, heureux ou malheureux, sur cette expérience : ces témoignages entrecoupent les séances « live » de la session de recrutement.
A priori, rien de plus banal pour tout salarié ou demandeur d’emploi passé par ce type d’épreuve, ou pour tout recruteur qui applique des méthodes plus ou moins classiques pour « tester » les candidats.
EN TOUTE LIBERTE
Didier Cros a d’ailleurs pu filmer en toute liberté parce que, dit-il, « le cabinet RST Conseil et le GAN voyaient plutôt d’un bon oeil la publicité qu’ils pourraient retirer de l’exposé de leurs méthodes de recrutement ». On n’apprend donc pas grand-chose d’inédit dans le film. Pourtant celui-ci produit un choc terrible.
Il met en effet en évidence un processus de déshumanisation…des ressources humaines, consistant à valoriser et à susciter les comportements agressifs, individualistes, la guerre de tous contre tous, aux dépens de toute solidarité ou de toute empathie.
Surtout, il montre que ce processus obtient la complicité de tous, candidats et recruteurs, à sa réalisation. Le tout au nom du fait, pour les candidats, qu’il faut trouver un emploi à tout prix et, pour les recruteurs, que « ce sera encore plus dur dans le monde du travail ».
Les germes de la fameuse « crise du travail » – divorce croissant entre salariés et dirigeants, entre valeurs humaines et exigences de l’entreprise, entre vie privée et vie professionnelle – sont ainsi présents dès la procédure de recrutement.
Didier Cros réfute l’argument selon lequel la situation qu’il a filmé serait une exception. « J’ai rencontré une trentaine de cabinets au cours de l’enquête de repérage, explique-t-il. Cinq ou six étaient d’accord pour me laisser filmer leurs activités, nombre d’entre eux avaient des méthodes bien pires que celles montrées dans le documentaire. J’ai choisi RST Conseil parce qu’ils avaient une pratique moins discriminante que beaucoup d’autres, afin d’avoir une diversité des candidats, et aussi parce qu’ils associaient le client à la procédure dès le début, ce qui me permettait de filmer toute la chaîne du recrutement d’un seul coup ».